Arrêt du 6 janvier 2022 de la Cour d'appel de Luxembourg
A a, à titre principal, fait valoir que la lettre de motivation du licenciement manquait de précision et, à titre subsidiaire, contesté le caractère réel et sérieux des motifs invoqués.
Elle a fait valoir que le seul motif invoqué par l’employeur à l’appui de son licenciement était son refus d’accepter le nouveau poste à la station SOC 2) à Capellen. Elle a soutenu que ce nouveau poste impliquait l’accomplissement de nouvelles tâches, une rétrogradation dans sa fonction de secrétaire et un travail sur trois postes du lundi au dimanche.
La nouvelle affectation aurait partant constitué une modification substantielle de son contrat de travail, contraire à l’avis médical. A a estimé qu’au vu de ces circonstances, son refus d’accepter la modification de ses conditions de travail ne constituait pas une faute justifiant un licenciement avec préavis
...elle sollicite la condamnation de la société SOC 1) à lui payer le montant de 6.743,13 euros à titre d’indemnisation de son préjudice matériel et le montant de 10.000 euros à titre d’indemnisation de son préjudice moral, ces montants avec les intérêts légaux à compter du dépôt de la requête introductive d’instance.
Elle réclame, en outre, la condamnation de la société SOC 1) à lui payer une indemnité de procédure de 1.500 euros pour l’instance d’appel.
Elle affirme avoir effectué de nombreuses recherches d’emploi dès le début du délai de préavis et avoir retrouvé un nouveau poste le 8 mars 2018. Elle demande à voir fixer la période de référence au cours de laquelle son dommage matériel est en relation causale avec son licenciement à sept mois, soit du mois d’août 2017 au mois de février 2018. Elle précise qu’elle a touché des indemnités de chômage de 8.481,30 euros en France au cours de ladite période. Concernant l’évaluation de son préjudice moral, A estime qu’il y a lieu de prendre en compte son ancienneté de presque dix ans, l’atteinte portée à son honneur ainsi que les soucis que le licenciement lui a causés
la société SOC 1) .. conteste que la nouvelle affectation de la salariée au site de la station SOC 2) à Capellen ait été opérée au mépris de l’article L.121-7 du Code du travail. Le lieu de travail et les horaires de travail ayant fait l’objet d’une clause de flexibilité, ils ne sauraient être considérés comme éléments essentiels du contrat de travail.
Le refus de la salariée d’accepter sa nouvelle affectation et son attitude désinvolte à son nouveau poste auraient justifié son licenciement. La société SOC 1) souligne que la nouvelle affectation avait pour but de délester A de son ancienne tâche de gestion des plannings de l’équipe volante. Par ailleurs, aucun obstacle médical n’aurait existé quant aux nouvelles fonctions attribuées à la salariée. Il serait faux de prétendre que cette dernière devait porter des charges lourdes dans le cadre de son nouveau travail....
Appréciation de la Cour
...En l’espèce, le changement portant sur l’affectation, l’horaire et les jours de repos de la salariée ne lui a pas été notifié dans les conditions de l’article L.121-7 du Code du travail.
Considérant que l’employeur a procédé à une modification, en sa défaveur, de clauses essentielles du contrat de travail, la salariée a réagi en manifestant son désaccord par le biais d’un courrier de son avocat du 4 avril 2017. Le 6 avril 2017, elle a été convoquée à l’entretien préalable à son licenciement et le 11 avril 2017, elle a été licenciée avec préavis.
La Cour n’est donc actuellement pas saisie d’une demande en annulation de la modification litigieuse, mais doit se prononcer sur la question de savoir si les contestations exprimées par la salariée par rapport à ladite modification constituaient une faute de nature à justifier son licenciement avec préavis.
Il est rappelé que le contrat de travail à durée indéterminée du 27 janvier 2012 prévoyait un horaire de travail de 38 heures par semaine, soit du lundi au vendredi de 13h30 à 17h30 à l’accueil SOC 3) et du lundi au jeudi de 9h00 à 12h30 ainsi que le vendredi de 8h30 à 12h30 pour SOC 4). Le contrat indiquait que l’horaire pouvait varier en fonction des besoins spécifiques de l’entreprise en général. Par avenant du 23 février 2012, le temps de travail a été porté à 40 heures par semaine, les autres clauses du contrat étant restées inchangées.
Dans la mesure où le prédit contrat de travail présentait une clause de flexibilité concernant les horaires, la salariée n’avait pas de garantie quant au stricte maintien des heures de travail initialement prévues. Il n’en reste pas moins que les termes du contrat de travail impliquaient qu’en principe, la salariée travaillerait le matin et l’après-midi et bénéficierait de deux jours de repos le weekend.
Par courrier du 7 février 2017, l’employeur a bouleversé ce principe en imposant à la salariée des plages de travail s’étendant jusque dans la nuit et incluant les samedis et les dimanches. Il faut donc considérer que l’employeur a procédé à la modification d’une clause essentielle du contrat de travail. Le changement intervenu a, par ailleurs, nécessairement entraîné une perturbation de la vie privée de la concernée.
C’est donc à juste titre que le tribunal du travail a retenu que la modification intervenue était en défaveur de la salariée. La contestation dudit changement au vu du non-respect de la procédure prévue par l’article L.121-7 du Code du travail, soulevée dans le courrier du 4 avril 2017 du mandataire de A, n’était, par conséquent, pas illégitime.
Il résulte de ce qui précède que les motifs invoqués à sa base du licenciement n’étaient ni réels ni sérieux
- Quant au préjudice matériel
En application des principes généraux de la responsabilité civile, le salarié victime d’un licenciement abusif ne peut obtenir réparation que s’il établit l’existence d’un préjudice en relation causale directe avec la faute commise par son ancien employeur.
C’est ainsi que le salarié licencié qui réclame l’indemnisation de son préjudice matériel, consistant dans une perte de revenus subie à la suite du licenciement, doit justifier des efforts entrepris pour trouver, dès que possible, un emploi de remplacement, faute de quoi la perte de revenus dont il se plaint ne se trouverait pas en relation causale directe avec le licenciement abusif.
La juridiction du premier degré a dit non fondée la demande de la salariée en indemnisation de son préjudice matériel en retenant ce qui suit : « la requérante, qui a certes activement recherché du travail dès son licenciement, est cependant restée muette sur la date à laquelle elle s’est inscrite comme demandeur d’emploi auprès du POLE EMPLOI en France ».
A verse un grand nombre de courriers de candidature adressés entre le mois de mai 2017 et le mois de mars 2018 à des employeurs potentiels (pièces 18 à 27 de la partie appelante).
Elle établit donc s’être mise à la recherche d’un nouvel emploi sans attendre l’expiration du délai de préavis, au cours duquel elle était dispensée de travailler. Il résulte ensuite d’un courrier de Pôle emploi du 16 août 2017 que c’est à partir de cette date, soit le lendemain de l’expiration de la période de préavis, que A a été inscrite sur la liste des demandeurs d’emploi. Le délai de carence et le « différé d’indemnisation » appliqués par Pôle emploi en vertu des dispositions légales françaises est sans lien avec une quelconque négligence dans le chef de la salariée.
Au vu des considérations qui précèdent, de l’âge de la salariée au moment de son licenciement (48 ans) et de la situation sur le marché de l’emploi, il y a lieu de fixer à deux mois à compter de la fin de la période de préavis, soit du 16 août au 15 octobre 2017, la période de référence pendant laquelle son préjudice matériel est en relation causale avec le licenciement abusif.
La Cour prend ainsi en compte le fait qu’au cours de la période de préavis de quatre mois, la salariée a bénéficié d’une dispense de travail et a pu entamer ses recherches d’emploi. Si elle n’avait pas été licenciée, A aurait touché le montant brut de [2 x 2.468,97 =] 4.937,94 euros auprès de la société SOC 1) au cours de la période visée.
Suivant relevés de Pôle emploi, elle a perçu des allocations d’aide au retour à l’emploi d’un montant brut de 947,91 euros pour le mois de septembre 2017 et d’un montant brut de [1.546,59/31 x 15 =] 748,35 euros pour la première moitié du mois d’octobre 2017, soit un total de [947,91 + 748,35 =] 1.696,26 euros.
Son préjudice matériel s’élève, par conséquent, au montant de [4.937,94 – 1.696,26 =] 3.241,68 euros.
..Eu égard aux soucis que A a dû se faire pour son avenir et au vu de l’atteinte portée à sa dignité de salariée, sa demande en indemnisation d’un préjudice moral est également fondée en son principe. Le montant de 5.000 euros qui lui a été alloué de ce chef en première instance est à considérer comme adéquat au vu de son ancienneté de service et des circonstances de la cause. Le jugement entrepris est donc à confirmer sur ce point.
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