Arrêt de la Cour d'appel de Luxembourg du 25 février 2021
Suivant contrat de travail du 10 septembre 2007, A entra au service de la société SOC 4) en qualité de chauffeur affecté au transport d’échantillons biologiques.
Par contrat du 31 mai 2011, elle fut reprise par la société SOC 3), en tant que chauffeur-livreur, avec la reconnaissance de son ancienneté.
Le 4 septembre 2014, elle fut informée par son employeur, la société SOC 3), d’un transfert d’entreprise vers la société SOC 2) avec effet au 1er décembre 2014, le courrier y afférant étant entièrement repris au jugement a quo.
A en conclut qu’elle était entrée au service de la société SOC 2) en date du 1er décembre 2014. Or, par courrier du 8 janvier 2015, la société SOC 2) contestait tout transfert d’entreprise, ceci suite au refus de A de signer le contrat qui lui avait été envoyé par la société SOC 2) et en vertu duquel elle aurait en fait été employée par une société tierce, la société SOC 5), le sous-traitant de la société SOC 2).
Comme la société SOC 2) avait ainsi manifesté son intention de rompre la relation de travail avec effet au 1er décembre 2014, sinon au 8 janvier 2015, sans indication de motifs, elle demanda à voir juger ce licenciement abusif.(...)
Il importe de rappeler qu’ « il se dégage du libellé même des articles L.127-1. (1) et L.127-2 du code du travail que la notion de transfert d’entreprise s’applique également au transfert de partie de l’entreprise et que la notion d’entité économique qui maintient son identité et qui constitue un ensemble organisé de moyens peut être constituée par la poursuite d’une activité accessoire » (CA 09.07.2009).
(....) En premier lieu, le transfert doit porter sur une entité économique organisée de manière stable, dont l’activité ne se borne pas à l’exécution d’un ouvrage déterminé (CJCE, 19 septembre 1995, X, C-48/94, Rec. p. I-2745, point 20).
La notion d’entité renvoie ainsi à un ensemble organisé de personnes et d’éléments permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Une entité ne saurait être réduite à l’activité dont elle est chargée. Son identité ressort également d’autres éléments tels que le personnel qui la compose, son encadrement, l’organisation de son travail, ses méthodes d’exploitation ou encore, le cas échéant, les moyens d’exploitation à sa disposition. (CJCE, Y, précité, point 13).
Selon une formule plus récente, « une telle entité doit être suffisamment structurée et autonome ». Ainsi, « un ensemble organisé de salariés qui sont spécialement et durablement affectés à une tâche commune peut, en l’absence de production, correspondre à une entité économique » (Jurisclasseur Travail, Transfert d’entreprise, Fasc. 19-50, no 33).
En second lieu, pour déterminer si les conditions d’un transfert d’une entité économique sont remplies, il y a lieu de prendre en considération l’ensemble des circonstances de fait qui caractérisent l’opération en cause, au nombre desquelles figurent notamment le type d’entreprise ou d’établissement dont s’agit, le transfert ou non d’éléments corporels, tels que des bâtiments ou des biens mobiliers, la valeur des éléments incorporels au moment du transfert, la reprise ou non de l’essentiel des effectifs par le nouveau chef d’entreprise, le transfert ou non de la clientèle, ainsi que le degré de similarité des activités exercées avant et après le transfert et la durée d’une éventuelle suspension des activités, ces éléments ne constituant toutefois que des aspects partiels de l’évaluation d’ensemble qui s’impose et ne pouvant, de ce fait, être appréciées isolément ( voir notamment, arrêts CJCE précités, Z, point 13, et Y, point 14).
Les critères ainsi développés par la jurisprudence européenne ont été repris en jurisprudence interne.
Ainsi est-il admis que les critères déterminants sont ceux du transfert d’une entité économique qui a conservé son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise.
L’opération de cession doit porter sur un ensemble, sur une entité économique qui forme un tout. Cette entité doit sur le plan des moyens humains et techniques avoir suffisamment de consistance pour constituer soit un établissement, soit du moins une unité de production ou un centre d’activité distinct.
Cette entité économique s’entend d’un ensemble de facteurs de production affectés à une même exploitation. C’est lorsque ces moyens d’exploitation sont transférés tout en conservant leur destination (leur affectation à la même activité ou à des activités analogues) que l’entité économique conserve son identité.
Un double critère est donc mis en œuvre : la persistance d’un ensemble de moyens de production organisés et la poursuite d’une activité identique ou similaire, (Cour, 29 janvier 1998, P 30, page 431).
En résumé, l’entité économique est un groupement au service d’un but, un ensemble de moyens et de personnes, organisés de façon durable et non temporaire, exerçant une activité économique à titre principal ou accessoire et poursuivant un objectif propre (Jurisclasseur Travail, Transfert d’entreprise, Fasc. 19-50, no 35).
En l’espèce, tel que retenu par le tribunal du travail dans son jugement du 16 septembre 2019, il n’a pas été contesté que l’activité de transport de matériel biologique antérieurement assurée en interne par la société SOC 4) a été continuée par la suite par la société SOC 3), que les chauffeurs, affectés à ces transports, dont A, ont été repris, qu’ils n’ont pas effectué de transport de matériel biologique pour d’autres entreprises, mais qu’ils étaient exclusivement et durablement affectés aux seules activités de transport pour le compte du client SOC 4)
C’est dès lors à bon droit et sur base d’un développement que la Cour reprend, que le tribunal du travail a retenu que cette activité de transport constituait bien une entité économique distincte, susceptible d’être transférée en tant que partie d’une entreprise.
Etant donné que la société SOC 2) a admis à l’audience du tribunal du travail qu’elle a assuré à partir du 1er décembre 2014 cette activité de transport, antérieurement effectuée par la société SOC 3), la condition du transfert d’une entité économique qui a conservé son identité et dont l’activité est poursuivie, est également vérifiée.
(...) A la lumière des textes légaux détaillés ci-avant, la Cour retient que la pratique de la société SOC 2), consistant à reprendre une entité économique au service d’un but clairement défini, à savoir la continuation de l’activité de transport pour le compte de la société SOC 4), mais à faire embaucher les salariés assurant le transport en question par son sous-traitant, la société SOC 5), n’est qu’une tentative de contournement des règles applicables au transfert d’entreprise, ceci d’autant plus que la société SOC 2) avait admis en première instance que cette activité de transport avait été assurée par ses propres véhicules, mis à disposition de son sous-traitant.
Le jugement du tribunal du travail du 16 septembre 2019 est dès lors à confirmer en ce qu’il a retenu l’existence d’un transfert d’entreprise de la société SOC 3) vers la société SOC 2).
Le licenciement
Aux termes de l’article L. 127-3 du Code du travail, le cessionnaire reprend les contrats de travail existants, rattachés à l’activité transférée. Dans sa requête du 3 avril 2015 A soutient qu’elle a été licenciée oralement en date du 1er décembre 2014, sinon en date du 8 janvier 2015.
C’est à bon droit et pour des motifs que la Cour fait siens, que le tribunal du travail a retenu que A n’avait pas fourni la preuve d’une intention claire et non équivoque de son employeur de mettre fin à la relation de travail en date du 1er décembre 2014.
La société SOC 2) a fait savoir par l’intermédiaire d’un courrier adressé au mandataire de A ... que «… non seulement SOC 2) n’a jamais marqué son accord au transfert des salariés mais qu’il n’y a pas transfert d’entreprise au sens de la loi alors qu’il n’y a « pas » eu cession des facteurs d’exploitation. Vous apprendrez dans ce contexte que les véhicules de transport n’ont par exemple pas été cédés »,
Tel que retenu à bon droit par le tribunal du travail, ce courrier exprimait, sans la moindre équivoque possible, l’intention de la société SOC 2) de ne pas reprendre A en tant que salariée et impliquait la résiliation du contrat de travail qui venait de lui être transféré.
Le jugement du tribunal du travail du 16 septembre 2019 est partant à confirmer en ce qu’il a retenu que cette décision n’était pas basée sur des motifs réels et sérieux et que le licenciement de la requérante (A) était à déclarer abusif.
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