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Informations dissimulées par le vendeur - nullité du contrat de vente et indemnisation de l'acheteur

Arrêt de la Cour d'appel de Luxembourg du 14 juillet 2022


Par exploit du 23 décembre 2019, les époux PERSONNE4.) ont donné assignation à PERSONNE1.) à comparaître devant le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg, siégeant en matière civile, aux fins de s’y entendre déclarer nulle, sinon résolue la vente susmentionnée ; condamner à leur rembourser le montant de 845.000 euros, correspondant au prix de vente; condamner à leur payer la somme de 113.826,75 euros, à titre de réparation du préjudice matériel subi, sur base de la responsabilité contractuelle, sinon sur base de la responsabilité délictuelle, sinon sur base de l’article 1645 du Code civil , avec les intérêts légaux à partir du jour de la demande en justice; la somme de 4.000 euros, à titre de réparation du préjudice moral ainsi que la somme de 6.000 euros, à titre de remboursement des frais et honoraires d’avocat (...)


La maison, objet du contrat de vente litigieux, empièterait sur le fonds voisin et ne serait « pas conforme à l’autorisation de bâtir ni aux plans autorisés » par les autorités communales.


Cette double circonstance serait d’une extrême gravité, puisque les irrégularités susmentionnées constitueraient des infractions aux normes urbanistiques et exposeraient les intimés à des sanctions pénales, outre que les intimés ne seraient « pas à l’abri d’une action judiciaire » des voisins tendant à la démolition de la partie de la maison empiétant sur le fonds voisin.


Les intimés n’auraient pas été en possession du plan cadastral et quand bien même ils l’auraient été, ce document ne leur aurait pas permis de « deviner » les irrégularités en question. De même, en l’absence d’une quelconque information de l’appelant susceptible d’éveiller le moindre soupçon, les intimés n’auraient pas eu la moindre raison de consulter les autorités communales au sujet d’une irrégularité éventuelle.


D’autre part, l’appelant aurait convenu avec ses voisins de l’époque de la constitution d’un droit de passage sur son terrain, en échange de l’accord susmentionné de ces derniers concernant « la partie du terrain sur laquelle fut érigée l’annexe ». Les intimés reprochent à PERSONNE1.) de leur avoir dissimulé, avant la conclusion du contrat de vente litigieux, que l’immeuble qu’il avait construit « empiète sur la parcelle adjacente, qu’il n’est pas conforme à l’autorisation de bâtir et qu’il est grevé d’une servitude de passage au profit du fonds voisin ». Il s’agirait là « d’éléments essentiels et déterminants touchant à l’objet vendu »


En droit, (..) les requérants demandaient la nullité du contrat de vente pour réticence dolosive, sinon pour erreur sur les qualités substantielles. Ils demandaient indemnisation des préjudices subis, pour un montant total de 113.826,75 euros, se détaillant comme suit :

- frais de notaire et droits d’enregistrement, pour un montant de 26.186,27 euros,

- intérêts sur le contrat de prêt conclu en vue de l’acquisition de l’immeuble, pour un montant de 12.206, 83 euros, sous réserve des intérêts à échoir,

- prime relative à l’assurance solde restant dû contractée auprès de ORGANISATION2.), d’un montant de (1.263,78 euros + 21.771,47 euros =) 23.035,25 euros,

- frais de déménagement, pour un montant évalué à 5.000 euros,

- frais relatifs aux divers aménagements réalisés sur le bien immobilier en cause, à savoir : °fourniture et pose d’une cuisine équipée, pour un montant de 16.299 euros,

°fourniture et pose d’une climatisation, pour un montant de 3.428,10 euros,

°fourniture et pose d’un garde-corps, pour un montant de 10.235,16 euros,

°aménagement de la salle de bains, pour un montant de 6.665 euros,

°installation d’un dressing sur mesure, pour un montant de 3.126,45 euros,

°fourniture et pose d’un radiateur, pour un montant de 1.682,46 euros,

°fourniture et pose d’une clôture de jardin, pour un montant de 5.962,23 euros,

- frais et honoraires d’avocat pour un montant de 6.000 euros, - dommage moral, pour un montant de 4.000 euros.


Appréciation de la Cour :


« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté » (article 1116, alinéa 1er du Code civil).


Le dol consiste dans l’emploi de moyens de tromperie en vue d’amener une personne à contracter. Ces moyens peuvent consister en agissements ou en simples mensonges. La dissimulation intentionnelle par un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie est également constitutive de dol.


Il en est ainsi, non seulement lorsque le vendeur a habilement contribué à faire naître une erreur chez l’acquéreur, provoquant ainsi son erreur, mais aussi lorsque par son silence, il s’est contenté de l’exploiter (cf. A. Weill et F. Terré, Les obligations, Dalloz, coll. Précis, 4e éd., n° 183).


L’information dissimulée par le vendeur est à considérer comme déterminante dès lors que l’acquéreur n’aurait pas accepté de contracter ou, à tout le moins, n’aurait pas accepté de contracter aux mêmes conditions, s’il l’avait connue (cf. Cass. 3e civ. 22.06.2005, Bull. civ. 2005. III, n° 137).


Si le dol « doit être prouvé » (article 1116 du, alinéa 2 du même Code), il s’agit d’un fait juridique qui peut être établi par tous les moyens, y compris par de simples présomptions (cf. Cass. civ. 04.01.1949, Recueil Dalloz 1949, 135).


Il est acquis en cause, d’une part, que l’appelant a convenu verbalement avec ses voisins de l’époque de leur accorder un droit de passage sur son terrain en échange de leur consentement à ce que l’appelant construise une annexe à sa maison sur leur terrain et, d’autre part, que la partie visible de l’extérieur de cette annexe et la cave construites par l’appelant ne sont pas conformes à l’autorisation de bâtir ni aux plans autorisés par l’autorité communale compétente.


L’existence et la teneur de cet accord verbal, que l’appelant ne conteste pas au demeurant, sont confirmées par une attestation testimoniale en bonne et due forme établie le 7 janvier 2022 par TEMOIN1. Les informations en question sont d’une importance telle qu’il y a lieu d’admettre que les acquéreurs n’auraient pas contracté, ou du moins n’auraient pas contracté aux mêmes conditions, s’ils les avaient connues avant la vente et que le vendeur, de son côté, ne pouvait ignorer que les acquéreurs ne consentiraient pas à la vente ou du moins n’y consentiraient pas aux mêmes conditions s’ils en obtenaient connaissance.


En effet, ainsi que les intimés le font valoir, à raison, l’application de l’accord susmentionné impliquerait que les intimés tolèrent en permanence les allers et venues des voisins sur leur terrain, ce qui constitue une restriction considérable à leur droit de jouissance et à l’intimité de leur vie privée.


D’autre part, les irrégularités susmentionnées de la construction réalisée par l’appelant exposent les intimés au risque de poursuites pénales ou d’une action en justice intentée par les voisins devant le juge civil en vue de la suppression de la construction illicite et, suivant le cas, la condamnation des intimés à une peine d’amende ou à des dommages et intérêts.

Le fait est que l’acte de vente notarié, loin de mentionner l’existence de la servitude en cause, contient de surcroît le passage suivant : « A la demande du notaire instrumentant, en présence de toutes les parties, la partie venderesse déclare expressément n’avoir personnellement créé aucune servitude pouvant exister à charge de l’immeuble vendu (…) » (cf. pièce n° 1 de la farde I des intimés, page 4, point 2 des « clauses et conditions »).


Cette déclaration fait ressortir l’intention de tromper de l’appelant quant à la servitude de passage susmentionnée, ainsi que la juridiction de première instance l’a relevé à juste titre.


Les irrégularités de la construction réalisée par l’appelant ont pareillement été passées sous silence par l’appelant, avant la vente, et cela nécessairement dans l’intention de tromper les acquéreurs, eu égard à l’importance des risques auxquels la vente exposait les intimés.


Les intimés ne pouvaient se rendre compte des circonstances décrites ci-dessus à la suite d’une simple visite des lieux. Il ne saurait davantage être exigé d’un acquéreur potentiel qu’il entreprenne des démarches auprès des autorités compétentes pour s’enquérir de l’existence éventuelle d’une irrégularité de la construction en cause au regard de l’autorisation de bâtir et des plans autorisés.


Les informations que les intimés reprochent à l’appelant de leur avoir dissimulées sont de celles qu’un vendeur, même non professionnel, est tenu de communiquer spontanément à l’acquéreur, ce que l’appelant s’est, en l’espèce, abstenu de faire. La réticence dolosive rend toujours excusable l’erreur provoquée (cf. Cour de cassation, 13.06.2013, Pas. 36, 768 ; Cour d’appel, 16.12.2015, Pas. 37, 835).


Le fait que l’acte notarié de vente stipule que « l’immeuble est vendu en l’état où il se trouve actuellement » ne porte pas à conséquence quant à la recevabilité ou quant au bien-fondé de la présente action, en l’absence de toute clause d’exclusion relative à d’éventuels défauts, vices ou irrégularités occultes au jour de la vente.


A cela, s’ajoute que la mauvaise foi du vendeur fait obstacle à l’application de pareille clause d’exclusion.


Dans ces conditions, il convient de retenir que les conditions d’application de l’article 1116 du Code civil se trouvent réunies, de sorte que c’est à bon droit que la juridiction de première instance a annulé la vente litigieuse pour cause de dol et ordonné les restitutions qui s’ensuivent.


Si le dol est sanctionné par la nullité relative du contrat, il peut aussi faire l’objet d’une action en dommages et intérêts, intentée sur le fondement de la responsabilité délictuelle, s’agissant d’une faute commise antérieurement à la conclusion du contrat.


Dans les motifs de ses conclusions récapitulatives, PERSONNE1.) estime avoir droit, en cas d’annulation, à une « indemnité de jouissance et d’occupation de l’immeuble objet du litige », évaluée à 20.416 euros, ainsi qu’à une « indemnité pour usure subie par la chose », chiffrée à 134.718,71 euros, avant de demander à la Cour, dans le dispositif de ses conclusions récapitulatives, de réduire, subsidiairement, « les montants dont condamnation à de plus justes proportions en tenant compte dans l’évaluation du préjudice d’une indemnité d’occupation et de jouissance », s’élevant à la somme de 20.416 euros, sans y mentionner « l’indemnité pour usure subie par la chose », évoquée dans les motifs.


(..)La prétention litigieuse de l’appelant constitue une demande de compensation puisqu’elle tend, implicitement mais nécessairement, à l’allocation d’indemnités et à la compensation entre le montant de ces mêmes indemnités et le montant de la réparation allouée aux intimés (...)


Le vendeur doit restituer le prix, l’acheteur la chose ; mais ni le vendeur ne doit les intérêts du prix ou la rémunération de l’acheteur, ni l’acheteur les fruits produits par la chose, pas plus qu’une indemnité de jouissance (cf. Ph. Malaurie et L. Aynès, Les obligations, Defrénois, 3e éd., n° 723).


Plus particulièrement, le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble (..).


D’autre part, lorsque, comme en l’espèce, l’appauvrissement invoqué a pour cause le dol de l’appauvri, il n’est pas sans cause et l’action de in rem verso dont relève la demande de l’appelant ne peut être exercée (cf. not. Cass. com. 08.06.1968, Bull. civ. 1968. IV, n° 180 ; Ph. Malaurie et Aynès, op. cit., n° 1069)


Le vendeur est pareillement infondé à réclamer une indemnité pour « l’usure subie par la chose vendue ». « L’usure subie » par le bien immobilier en cause, pendant la période d’exécution du contrat entaché d’un vice de nullité pour dol, est la conséquence directe de la faute du vendeur, auteur du dol (..).


Celui qui restitue la chose ne doit indemniser celui qui la reçoit que de la perte ou de la détérioration de la chose, s’il est de mauvaise foi ou si le dommage est survenu par sa faute (article 1379 du Code civil).


Ces conditions ne sont pas données en l’espèce. Il suit de là que la demande tendant à la diminution de la réparation allouée aux intimés à concurrence d’une indemnité de jouissance de 20.416 euros et d’une indemnité d’usure de 134.718,71 euros, doit être rejetée comme infondée. L’appelant conteste formellement la demande en réparation des intimés dans son intégralité.


En ce qui concerne les droits d’enregistrement et les frais et honoraires du notaire, la Cour constate que les intimés versent au dossier une facture numéro 3779/18 du 28 décembre 2018 de Me NOTAIRE1.), notaire, de laquelle il ressort que le montant total de ce poste s’élève à 26.186,77 euros et qu’un payement portant sur le montant de 31.000 euros a été effectué le 28 décembre 2018, de sorte que les intimés ont droit à un solde s’élevant au montant de 4.813 euros. Au vu de cette pièce, le montant réclamé de 26.186,27 euros est partant justifié. Cette dépense étant la conséquence directe du contrat de vente vicié par le dol de l’appelant, les intimés ont droit à son remboursement par l’appelant.


Il en va de même de la prime d’assurance solde restant dû, le montant réclamé à ce titre, d’un import de 23.035,25 euros, étant justifié par deux extraits de compte et ayant été dépensé par les intimés en raison du contrat de vente vicié par le dol de l’appelant.


Eu égard aux soucis et tracas générés par la situation ayant conduit à leur action en justice, le dommage moral invoqué par les intimés a été évalué à juste titre, ex aequo et bono, au montant de 2.500 euros.


Outre la contestation globale susmentionnée, l’appelant soutient notamment que «les aménagements à l’intérieur de la maison » ne constituent pas « tous une source de plus-value » et que les frais d’installation d’un « dressing sur mesure » constituent une « impense somptuaire » qui ne saurait être mise à sa charge.


Le régime des restitutions à opérer à la suite de l’annulation du contrat de vente n’est pas spécifique des effets de l’annulation du contrat. Ces règles sont communes à tous les cas de restitutions et se dégagent notamment de l’article 1381 du Code civil, aux termes duquel « celui auquel la chose est restituée doit tenir compte, même au possesseur de mauvaise foi, de toutes les dépenses nécessaires et utiles qui ont été faites pour la conservation de la chose ».


Cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’à la différence des impenses (dépenses affectées à la chose) dites nécessaires qui ont pour objet la conservation de la chose et des dépenses utiles qui visent les travaux qui ont eu pour conséquence d’améliorer la chose, les impenses dites somptuaires ou voluptuaires, c’est-à-dire celles relatives à des travaux de luxe ou même de simple agrément, ne sont, a contrario, jamais remboursées.


Tandis que les impenses nécessaires doivent être remboursées dans leur intégralité, les impenses d’amélioration ne donnent lieu à dédommagement qu’à concurrence de la plus-value donnée au bien (...).


En l’occurrence, l’installation d’un dressing sur mesure, pour un montant de 3.126,45 euros, est à considérer comme impense somptuaire, de sorte que les frais y relatifs ne sont pas à rembourser par l’appelant, contrairement à la décision des juges de première instance.


Les autres frais d’aménagement (cuisine équipée, salle de bains, climatisation, clôture, radiateurs, garde-corps) sont à considérer comme dépenses utiles exposées en vue de l’amélioration de la chose à restituer. Ces frais d’aménagement ne donnent partant lieu à dédommagement qu’à concurrence de le plus-value procurée au bien immobilier en cause, contrairement à l’appréciation de la juridiction du premier degré.


Eu égard aux contestations en présence, il y a lieu de recourir aux lumières d’un expert pour déterminer les plus-values procurées à l’immeuble à restituer.


(...) En ce qui concerne les frais et honoraires d’avocat, la Cour constate, au vu des pièces versées aux débats, que ceux-ci s’élevaient au montant de 5.850 euros, en première instance, et non pas au montant réclamé et finalement retenu de 6.000 euros, et au montant de 7.020 euros, et non pas au montant réclamé de 7.200 euros en instance d’appel (cf. pièces nos 17 de la farde I et 21 de la farde III des intimés).


A concurrence des montants de 5.850 euros, pour la première instance, et de 7.020 euros, pour l’instance d’appel, ce volet de la demande des intimés est justifié.


En effet, si en principe l’action en justice est exercée librement, tant en demandant qu’en défendant, et ne justifie pas une action en remboursement des frais et honoraires d’avocat, il en est autrement lorsque ladite action a été exercée dans une intention malveillante ou qu’elle procède d’une faute lourde équipollente au dol ou encore d’une légèreté blâmable.


Or, en l’espèce, les époux PERSONNE4.) ont nécessairement dû exposer des frais et honoraires d’avocat afin d’obtenir l’annulation d’un contrat de vente vicié par le comportement dolosif de PERSONNE1.) et la réparation du préjudice en résultant, de sorte que leur demande en remboursement desdits frais et honoraires est justifiée sur le fondement des règles régissant la responsabilité délictuelle, ainsi que les juges du premier degré l’ont relevé à juste titre. Il convient cependant de réformer le jugement entrepris quant au montant alloué.


Concernant les intérêts bancaires échus et réglés en raison du prêt accordé par la banque ORGANISATION3.) pour le financement de l’acquisition de l’immeuble en cause, force est de constater que les écritures et pièces versées aux débats par les intimés ne permettent pas de reconstituer le montant réclamé de ce chef.





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